Bon, même après plusieurs dizaines d’années  depuis le comblement des canaux, le sous sol des environs demeurent des plus  instables, et toutes sortes de bâtiments sont légèrement penchés les uns sur  les autres, et créent un paysage niant toute idée de ligne droites. 
              Pour  les Japonais comme moi, il est tout à fait normal de subir plusieurs  tremblements de terre par an, et on a compris que leurs amplitudes, hypocentres  et même leurs causes sont très diverses ; en plus, c’est un peuple qui ont  pour ainsi dire la tension des flashs d’informations et les informations sur  les tsunamis, qui commencent juste après les séismes, inscrites dans leurs  gènes. 
              Donc,  à chaque fois que je vois ce genre de bâtiments peu rassurants, je ne peux  m’empêcher de penser : « Si Nantes était victime d’un tremblement de terre un  peu puissant, ce genre de bâtiments, comme l’image d’un monde virtuel sur un  moniteur d’ordinateur, devraient s’écrouler tous dans un bruit de tonnerre !!  », mais il s’agit de l’Europe, qui, comme je l’ai appris à l’école, est restée  stable sur son socle d’anciennes montagnes ; je peux donc empiler mes affaires  avec autant d’inattention que je veux dans mon appartement: ils ne tomberont  jamais, et les années passeront. 
              Donc,  même un immeuble tordu d’une façon impossible, continue d’exister tel quel ; je  suis tous les jours impressionnée par le fait que ces bâtiments s’intègrent  parfaitement dans le paysage urbain. « Ce genre de patience, d’images  impérissables, sont en définitive la finauderie de l’Europe, et cela est  quelque chose d’exceptionnel, que les Japonais peuvent difficilement imiter ! »  ainsi, fais-je aussi des comparaisons entre la France et le Japon. 
                Bref, le bâtiment le plus tordu de Nantes se  dresse à l’endroit où la Cours de 50 Otages se rapproche le plus de l’Erdre, et  se croise avec la rue de Strasbourg. Jusqu'à il   y a environ une dizaine d’années, son   rez-de-chaussée était occupé par une pharmacie, et les  premiers et deuxième étages semblaient  habités, mais petit à petit, les fenêtres ont cessés de s’éclairer, et la  boutique a déménagée de l’autre coté de la rue. A cette époque, sa forte  inclinaison était déjà évidente aux yeux de tous, donc l’avis général était que  comme il serait dangereux d’y habiter plus longtemps, il finirait par être  détruit. Mais il fut laissé tel quel pendant quelques années, et des squatteurs  élirent domicile aux étages. A partir de ce moment là, des échafaudages ont été  montés autour du bâtiment, et j’ai entendu dire qu’ils étaient en train  d’injecter une substance spéciale dans le sous-sol, afin de renforcer le  terrain. J’ai été intriguée :"Ah, bon, il ne vont pas le détruire !?  Même si le conserver reviendrait plus cher !?", mais parler de cela  me fait penser qu’à l’époque, ils étaient en train de construire le Palais des  Congrès de Nantes, et son sous-sol devait être également pas assez solide,  car les personnes impliquées dans les travaux  sont en train de faire face à un « happening » inattendu :  l’énorme bâtiment en construction commença lui aussi à pencher. On a donc dû  faire de grands travaux de renforcements, en dépassant allègrement le budget  initial, et comme le Palais est toujours debout, on a dû injecter le même genre  de produit dans son sous-sol. Mais pour le bâtiment de la Cours de 50 Otages,  il a dû être impossible de faire plus que d’arrêter l’aggravation de son  inclinaison, car celui-ci n’est jamais revenu à l’horizontale. 
                Mais, depuis environ 2003, on a commencé à  entreposer d’étranges matériaux de constructions autour de cet immeuble, et les  travaux ont sérieusement débutés. Plusieurs gros objets en bois, ressemblant à  des roues à aubes ont été installées, et je suivais l’avancement de la  construction de l’intérieur du tramway circulant sur la Cours de 50 Otages, en  pensant : "Utilisent-ils ces appareils pour consolider le  sous-sol?" Bientôt, ces matériaux furent tous absorbé par l’immeuble, et le  ravalement de façade, consistant à blanchir et nettoyer les murs rendus gris  par la poussière des ans, en les ponçant, pour leur refaire une beauté, ont été  entrepris. Le bâtiment est toujours « complètement tordu », mais j’ai  commencé à avoir l’impression que les vieilles pierres , ayant retrouvé leur  blancheur, sont satisfaites et s’enivrent de leur beauté retrouvée après une  longue période d’oubli, comme des sculptures aux histoires inconnues. Lorsque  chacun de ces gros blocks sont poncés, de la poudre blanche s’envole, et on a  l’illusion que des images de l’Histoire sont réduites en poudre, et recouvrent  les pavés.   
                Je pensais ces choses là, et récemment, je me  suis aperçue qu’ils en étaient aux travaux d’aménagements intérieurs. Les fenêtres  dont même les cadres sont tordues, sont grandes ouvertes, et on peut très bien  voir ce qui se passe à l’intérieur. Des plaques de plâtre toutes neuves sont  installées, mais comme l’immeuble penche de tous les côtés, de manière  compliquée, selon des angles importants, la rectification est difficile. Comme  c’est un bâtiment qui semble avoir complètement oublié les notions  d’horizontalité et de verticalité,si on rectifiait l’inclinaison de l’ensemble,  des espaces morts triangulaires se créeraient en plusieurs endroits, ce qui réduirait  fortement la superficie et la hauteur utilisable. Malgré tout, cet immeuble est  sur le point d’être conservé pour une quelconque utilisation. Lorsque j’ai  regardé les fenêtres tordues donnant sur la Cours de 50 Otages avec émotion :  "Même ce genre de choses sont conservées", j’ai vu un panneau annonçant  quelque chose du genre « Les maçons réparant les monuments  culturels ». Et j’ai eu aussi l’impression que j’ai naturellement compris,  de façon très concrète, le séminaire de l’université intitulé « Histoire  de l’architecture de la Renaissance Italienne », dans lequel on m’a appris  que le système à linteau de la Grèce antique supportait des lignes droites avec  des colonnes, et que Rome en hérita pour inventer un nouveau : celui des arches,  et cette technique de construction est la technique de l’arco, c'est-à-dire l’architecture. Ici, la construction en pierre,  qui date des époques grecques et romaines doivent être naturellement transmis  de génération en génération. Pendant des centaines et des milliers d’années,  les maçons ont façonné et empilé les pierres pour construire des immeubles, et même  si ces bâtiments penchent, ils les consolident, refaçonnent les pierres, et  refont d’innombrables travaux d’aménagements intérieurs, et continuent  d’afficher leurs pancartes. C’est cela, la culture de la pierre, la France  appartient à celle-ci, ais-je compris en un éclair, en passant par-dessus  toutes les théories et explications. Et lorsque j’ai regardé encore une fois ce  panneau, et tourné mes yeux vers les pavés, de la poudre blanche de pierre  dansait dans le soleil de mai, comme les pétales tombés de sakuras. Les  activités humaines représentant plusieurs dizaines de pages d’un manuel  d’Histoire passent devant mes yeux sous la forme d’une poudre blanche, au toucher  semblable à du plâtre. Dans cette beauté tenace et tendre, j’ai pu sentir  l’emprunte de « l’Europe de la Pierre ». 
                Cette  culture du travail de la pierre, clairement différente de la construction  japonaise, où l’on cultive des arbres pour les couper et les monter en colonnes  existait là, de manière non dite, mais cependant avec force.  
                Après avoir ressenti cette transmission  inattendue de la tradition, j’ai repris le tramway. En ce moi de mai, il fait  beaucoup plus froid que la moyenne de saison, et le soleil du début de l’été  enferme la température réelle dans une fraîche transparence, mais, les branches  des arbres, comme chaque année, ont commencé à porter des bourgeons d’un vert  vif. Le regard accaparé par les différends tons de vert décorant l’Erdre, et en  pensant au rêve de la Grèce et à l’ambition de Rome, je me dirige, aujourd’hui  encore, vers mon studio d’enregistrement.                
               
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            			  L’entrée du Canal  St.Felix, vue de sous le Pont St.Mihiel, qui enjambe l’Erdre. 
              (En sortant de ce  canal, la rivière se jette dans la Loire.)                               
               
              Le bâtiment « tordu », vu du point où finit l’ Erdre. 
                  
                 Vue d’ensemble du bâtiment  (il penche dans plusieurs directions). 
               
  Une même fenêtre est  tordue de manière compliquée.               
                  
                 
                Les travaux d’aménagement  intérieur.               
                  
                 
                Tramway arrivant à la  station «Cours des 50 Otages ».                
                  
                 
                Les berges de l’Erdre,  et la verdure de Mai.               
                  
                 
                 
               
              
  
    | Accès au bâtiment le plus « tordu » à Nantes.  
       Prendre le TGV, pour Le  Croisic à Paris-Monparnasse, et descendre à Nantes (à environ 2heures de Paris) ;  de la sortie nord de la gare, prendre le N°1 du tram, et changer pour la 2 à la  Place du Commerce (la troisième station) et descendre deux arrêts plus loin, au  Cours des 50 Otages ; ce bâtiment est juste en face.          | 
   
 
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